Parallèlement à cette consommation habituelle, il existe un art chinois du thé, le Gong Fu Cha, pratiqué
depuis quelques décennies à Taiwan.
C'est sous les Ming que s'est diffusée la pratique du thé infusé, que sont apparues les premières théières, et que la terre de Yi Xing a commencé à être utilisée pour leur fabrication. Boire le
thé était alors un acte social et raffiné, qui tentait de retrouver et d'imiter les gestes oubliés de la tradition Song. Cette recherche a donné naissance à un manuel de thé, le Cha
Shu, qui décrit très précisément chaque étape de la préparation du thé et dont s'est directement inspiré le Gong Fu Cha taiwanais.
Aujourd'hui, l'ensemble de ces règles est observé dans les maisons de thé taiwanaises, où les amateurs se retrouvent dans une ambiance conviviale. Les thés qu'on y déguste sont d'une qualité exceptionnelle, le plus souvent des Wu Long, aux arômes très délicats et longs en bouche, et nécessitent l'utilisation de théières faites dans une terre particulière : la terre de Yi Xing, une ville chinoise située à l'ouest de Shanghai. Parmi les autres accessoires, on retrouve typiquement : la bouilloire, le bateau à thé, sorte de grand plat creux dans lequel seront placées théière et tasses, le pot de réserve, la tasse à sentir et la tasse à déguster.
Comment préparer le thé au Gong Fu Cha ?
- disposer la théière et les deux tasses dans le bateau à thé,
- verser de l'eau chaude dans la théière pour la rincer, puis reverser cette eau dans le pot de réserve,
- mettre le thé dans la théière de façon à la remplir à moitié de feuilles. Rincer ces feuilles avec un peu d'eau pour les hydrater, reverser immédiatement l'eau de rinçage dans le pot,
- verser le contenu de ce pot dans le bateau à thé,
- remplir d'eau la théière à ras bord pour en chasser l'écume. Laisser infuser 1 minute et verser la liqueur dans le pot,
- remplir avec le pot la tasse à sentir que l'on reverse immédiatement dans la tasse à déguster. L'amateur inspire alors profondément dans la première pour découvrir le parfum du thé et boit la seconde, lentement et à petites gorgées. L'infusion est renouvelée plusieurs fois selon le même procédé.
Le thé a, au Japon, une dimension cultuelle très forte. Plus qu'un art de vivre, c'est un culte fondé sur l'admiration du Beau parmi les vulgarités de l'existence quotidienne. Cette philosophie se traduit sous la forme d'une cérémonie, extrêmement codifiée, qui se déroule dans un lieu précis et dont chaque geste doit être soigneusement observé.
Dans un pavillon, généralement situé dans un endroit ombragé du jardin et réservé à cet usage, qui comprend une chambre de thé et une salle de préparation, cinq personnes au maximum participent à la cérémonie. Plus petit que les maisons traditionnelles, ce pavillon doit donner l'impression d'une pauvreté raffinée, le dépouillement étant pour les Japonais l'expression de la beauté véritable.
Développé vers la fin du XVe siècle sous l'influence du Bouddhisme Zen, ce cérémonial philosophique invite l'homme à se purifier en s'unissant à la nature. C'est pourquoi, l'allée qui mène au pavillon passe au milieu des arbres et des fleurs et permet au visiteur d'accéder au premier stade de la méditation. Rien n'est d'ailleurs laissé au hasard : décor, mets, sujets de conversation, etc. Un grand respect est porté aux geishas qui maîtrisent parfaitement le moindre détail de la cérémonie.
Au départ, une collation légère est servie et est suivie d'une courte pause. Vient ensuite le Goza Iri, moment central de la cérémonie, au cours duquel est d'abord servi un thé épais, Koïcha, puis un thé léger, Usucha. Diverses purifications et civilités d'usage ont lieu jusqu'à ce que l'hôte frappe cinq coups sur un gong. Après une suite de gestes minutieux, il verse trois cuillérées de Matcha par invité dans un bol, puise une louche d'eau chaude et bat la mixture avec un fouet en bambou jusqu'à obtenir un liquide épais. Le bol est posé près du foyer et l'invité d'honneur s'approche à genoux. Il boit alors trois gorgées et, après la première, formule des compliments sur le goût du thé. Ensuite, il essuie l'endroit touché par ses lèvres avec le papier Kaishi, qu'il a amené avec lui, et passe le bol au second invité, qui procède de même et ainsi de suite. Le dernier rend le bol au premier qui le tend à l'hôte.
Les différentes phases du Cha No Yu ont été prépondérantes dans le développement de l'architecture, de la science des jardins, des aménagements paysagers, de la porcelaine ou de l'art floral japonais. Chaque étape implique en effet une adhésion esthétique dans des domaines très divers. Il s'agit, par exemple, d'apprécier les ustensiles nécessaires à la cérémonie : le bol, la boîte, la louche, le fouet, souvent de véritables objets d'art. Mais de savoir également goûter les décorations prévues, telles que le Kakemono, peinture verticale sur rouleau, le Chabana, arrangement de fleurs conçu pour la circonstance, ou encore l'harmonie des pentes des toits de la chambre de thé.
Par ailleurs l'étiquette minutieuse observée lors de la cérémonie a influencé fondamentalement le savoir-vivre japonais. S'intéresser à cet art séculaire, destiné à donner grâce et manières raffinées à ceux qui l'observent, est une des clés d'accès à la compréhension de la société japonaise.
Les premières traces du thé en Russie datent de 1567 : deux cosaques - Petrov et Yalychev - le citent comme un merveilleux breuvage chinois et décident d'en faire leur boisson favorite. Il faut cependant attendre la fin du XVIIe siècle pour que le thé devienne une denrée d'importation régulière vers Moscou. Le thé ne fut d'ailleurs longtemps disponible que dans cette ville et resta, pendant presque deux siècles, l'apanage des Moscovites, que, par dérision, les Russes appelaient « les buveurs de thé » ou « les buveurs d'eau chaude ». Ce n'est qu'à partir des années 1850 que la consommation de thé se répandit dans tout l'empire et gagna l'ensemble des couches sociales.
Le thé, en Russie, est indissociable du samovar. Inventé au début du XVIIIe siècle dans l'Oural, cet objet, destiné à préparer le thé, ne s'est vraiment répandu qu'en même temps que la démocratisation du thé. Source de chaleur autour de laquelle se réunit la famille, le samovar est une sorte de grande bouilloire qui permet de maintenir plusieurs litres d'eau à la bonne température pour préparer le thé.
Le samovar est constitué d'un foyer, d'un grand récipient évidé en son centre et d'une cheminée. Dans le foyer, un brasier de charbon de bois est préparé et sert à chauffer l'air qui se trouve dans la cheminée qui le surmonte : ce système permet d'amener et de maintenir l'eau à une température constante. La forme du samovar est étudiée de façon à ce que l'on puisse entendre les différents stades de l'ébullition de l'eau : elle commence par « chanter », puis « bruire » et enfin « gronder comme la tempête ». C'est lorsque l'eau bruit, qu'elle est prête.
Un robinet, placé sur la paroi extérieure, permet de remplir aisément tasses et théières. La théière, dans laquelle un extrait de thé très concentré est préparé, est posée au-dessus de la cheminée, et est ainsi maintenue au chaud. Pour se servir, chacun verse dans sa tasse un fond de thé, qu'il rallonge d'eau chaude. Pour refroidir la liqueur, il arrive souvent que la tasse elle-même soit vidée dans une soucoupe et que l'on boive le thé directement dans ce deuxième récipient.
Le thé est très présent dans la société russe et a même donné des expressions idiomatiques courantes : « pourboire » se dit, par exemple, « na tchaï » qui signifie « pour le thé ». Sur le plan social, la réunion autour d'une tasse de thé a revêtu diverses significations : de caractère intime et familial à l'origine, cette réunion est devenue par la suite un acte très socialisé dont la dimension mondaine et officielle occultait complètement la chaleur et le bien-être.
Aujourd'hui, boire un thé autour du samovar, c'est accomplir un geste convivial et chaleureux, comparable aux réunions familiales originelles, dont on peut trouver des descriptions dans toute la littérature russe du XIXe siècle et du début du XXe siècle. C'est un instant de partage, au sein de la communauté, pendant lequel tout le monde s'arrête un moment pour jouir du foyer et de la présence de chacun.
Dans un compte-rendu commercial du IXe siècle, Soliman, un marchand arabe, raconte ses expéditions en Chine et fait mention du thé comme d'une herbe presque sacrée, dont l'importance est essentielle dans la société chinoise : c'est la trace écrite la plus ancienne, en dehors de textes chinois, que l'on ait sur le thé. Passant par le Pakistan, l'Iran, la péninsule arabique et la Turquie, le thé arrive jusqu'en Egypte vers le XVIe siècle. Mais sa progression s'arrête là et il ne traverse pas le désert de Libye.
Il faut en fait attendre le milieu du XIXe siècle pour qu'il soit introduit dans les pays du Maghreb, à un moment où les Anglais, confrontés à la perte du marché slave lors de la guerre de Crimée, cherchaient de nouveaux débouchés. C'est vers le Maroc, et plus précisément les ports de Mogador et de Tanger, qu'ils se tournèrent pour écouler leurs stocks. La boisson la plus répandue au Maghreb jusqu'alors était l'infusion de feuilles de menthe, parfois d'absinthe, et il semble que le thé ait reçu un accueil favorable des populations, car, mêlé à ces feuilles, il en diminuait l'amertume sans en dénaturer le goût, ni la couleur. Il fut rapidement adopté et un art typiquement marocain de boire le thé vit le jour. Grâce aux populations nomades, le thé se diffusa rapidement dans tout le Maghreb et toute l'Afrique de l'Ouest. Depuis, offrir du thé à la menthe fait partie des règles de savoir-vivre, non seulement au Maroc, mais aussi dans de nombreux autres pays arabes.
Le thé utilisé est exclusivement du thé vert, en général du Gunpowder, réputé pour sa fraîcheur et ses vertus désaltérantes.
Le thé correspond à l'expression la plus raffinée de l'hospitalité. C'est en général le chef de famille qui le prépare, parfois son fils aîné, à moins qu'il ne veuille honorer l'invité, en le priant d'assurer cette fonction. Deux théières sont préparées en même temps : l'officiant dépose dans chacune une grosse pincée de thé vert, qu'il rince rapidement à l'eau bouillante pour lui enlever son amertume. Une poignée de feuilles de menthe fraîche et un gros morceau de pain de sucre sont ensuite introduits dans chaque théière, et recouverts d'eau bouillante. Après quelques minutes d'infusion, le préposé au thé remue le mélange et le goûte, rajoute éventuellement quelques feuilles de menthe ou un peu de sucre. Il sert ensuite le thé à l'aide des deux théières, en le versant de très haut dans de petits verres, qu'il apporte posés sur un plateau de métal finement ciselé. Trois infusions successives sont servies, de plus en plus sucrées, et après la dernière, il est poli pour l'invité de donner le signal du départ.
Dans le désert, la préparation du thé est légèrement différente et se fait à l'aide de petites théières en métal émaillé, que l'on pose directement sur le feu, remplies de thé, d'eau et de sucre. Comme au Maroc, trois thés successifs sont servis : les Touaregs disent que le premier est fort comme la vie, le second bon comme l'amour, le dernier doux comme la mort.
En 1606, les premières caisses de thé arrivent à Amsterdam en Hollande : c'est la première cargaison de thé
connue et enregistrée dans un port occidental. Les Pays-Bas ont alors la mainmise sur le négoce des produits rares en provenance de l'Orient, mais cette suprématie est vite remise en
cause par les Anglais, qui fondent quelques années plus tard l'East India Company, concurrent direct de la compagnie hollandaise. L'arrivée du thé en Angleterre a lieu dans un contexte
particulier : la mode est alors aux cafés, les coffee-houses, qui se développent de plus en plus et connaissent un succès grandissant. A la même époque, Catherine de Bragance, infante
portugaise et jeune femme du roi d'Angleterre, apporte en dot Bombay, et son habitude de boire du thé à toute heure de la journée.
Dès lors, le thé connaît un véritable engouement dans tout le pays. Apprécié à la Cour, il ne tarde pas à conquérir toutes les couches de la population, et devient rapidement un immense
succès populaire. Le thé est aujourd'hui un pilier de la société britannique : les Anglais en boivent tout au long de la journée : ils commencent par le « Early Morning Tea », souvent
pris encore au lit avec des biscuits secs, puis continuent avec le « Breakfast Tea » qui accompagne un petit-déjeuner copieux, se servent une tasse sur le coup de 11 heures, ce qui leur
permet de tenir jusqu'au classique « Five o'clock tea ». Enfin, un dernier thé est souvent bu le soir, avant le coucher.
Le « Five o'clock Tea » est en Grande-Bretagne un véritable rituel. C'est une coutume qui aurait été instaurée au XIXe siècle par la septième duchesse de Bedford. On déjeunait, à l'époque, très tôt et l'on dînait très tard, et la duchesse avait pris l'habitude de déguster entre trois et quatre heures de l'après-midi une tasse de thé accompagnée d'une collation. Elle commença peu à peu à inviter ses amis à partager ce moment et lança ainsi une mode dont le succès fut rapide et considérable.
Aujourd'hui, comme au siècle précédent, on se reçoit en famille ou entre amis pour boire le thé. Pour prévenir les désirs de chacun, lait, sucre et citron ne sont jamais oubliés.
Le thé est préparé selon cinq règles d'or, typiquement britanniques, et particulièrement adaptées aux types de thés bus en Angleterre :
- ébouillanter la théière, pour réchauffer les feuilles de thé et leur permettre de libérer tout leur parfum,
- mettre dans la théière une petite cuillérée de thé par tasse, plus une pour la théière,
- verser l'eau frémissante, jamais bouillante, sur les feuilles,
- laisser infuser trois à cinq minutes,
- remuer et servir.